1 La fée Mousse au Chocolat

 

 

Chaque année début septembre, c’est le repas annuel de tous les nains de jardin de Belgique : l’invitation  est lancée par la « Smala de Vaxabru », la réception se déroulera sur la place Creux Vaguemer. Tous ont répondu « je viendrai », pour cette mémorable soirée de retrouvailles et de festivités. Un tirage au sort a désigné la gentille fée Mousse au Chocolat pour la préparation du dessert, vous l’avez compris c’est de la mousse au chocolat.

 

         Malgré la brume matinale qui contrecarre le lever du soleil, la petite fée est de bonne humeur. Dans la cuisine la radio diffuse de la musique, assise à table, notre bonne fée savoure un bon café et un pain au chocolat sortit du four ; par la fenêtre entr’ouverte elle observe les mésanges et les moineaux. Chacun à leur tour ils s’agrippent et becquettent dans la boule de graines. Celles tombées sur le sol sont aussitôt picorées par le rouge-gorge. Le manège des oiseaux la fait rire aux éclats. La journée s’annonce belle et radieuse.

 

         La vaisselle sale du déjeuner rangée dans le lave-vaisselle, la petite fée le cœur joyeux se met au travail. Le chocolat, les œufs, le sucre, les pots et les cuillères en bois sont installés sur la grande table. Elle allume la cuisinière, y dépose une casserole d’eau afin d’y fondre le chocolat au bain-marie. 

Les notes de musique swinguent sur l’air de « Love is all », elle chante, son popotin bat la mesure. 

Elle casse les œufs, laisse tomber les jaunes dans le récipient du batteur, ajoute le sucre fin ; les blancs d’œufs sont déposés avec une pincée de sel dans un plat. Tout est prêt pour la fabrication du dessert. Elle tourne le bouton de la mise en route du robot de cuisine ; les fouets restent immobiles, inquiète, elle s’évertue à tourner le commutateur. Que se passe-t-il ? Il cale, il fait un drôle de bruit. Énervée, elle insiste, rien à faire, il ne veut pas battre les œufs et le sucre.

 

         Remplie de hargne, elle vocifère des injures, tape l’engin des poings et des pieds. Le rouge de la colère inonde son visage, des gouttes de sueur ruissellent sur ses joues, la transpiration laisse des traînées humides sous les aisselles. Avec fureur, d’un revers de la main, elle renverse les plats et ingrédients posés sur la table ; les blancs d’œufs se répandent sur le sol. Lancée dans son élan de frénésie, elle se retrouve assise dans cette masse visqueuse. Une flopée de gros mots sortent avec une rage, incontrôlable.

 

         A bout de force, elle s’écroule en larmes. Honte et désespoir, elle ne pourra pas honorer son contrat, c’est la catastrophe, la fin du monde. Elle ne connaît rien au fonctionnement du mécanisme ; elle ignore même le nom d’un réparateur. Cela fait deux siècles que ce robot de cuisine travaille sans aucun problème, c’est sa première panne. Les sanglots reprennent de plus belle. La cuisine est sale, ses vêtements collent, ils sont aussi poisseux que le carrelage. Elle doit recommencer sa mousse, laver les ustensiles, nettoyer la cuisine, se doucher et changer de vêtements. Comment va-t-elle faire pour remettre tout en ordre et réparer le fameux appareil ? Comment terminer à temps dans de bonnes conditions ? À qui peut-elle s’adresser pour obtenir de l’aide ? Elle est bouleversée par toutes ces questions auxquelles elle n’a aucune réponse.

 

         Par hasard l’enchanteur Lilong passe par là sur sa tondeuse à gazon volante silencieuse, il entend les pleurs de la petite fée, gare son engin au parking et lui rend visite. Entre deux sanglots, elle lui explique la raison de son malheur, qui à ses yeux est colossal. Ne supportant pas la détresse de la fée Mousse au Chocolat, il s’approche de la machine, l’examine avec minutie, avec un tournevis, il enlève la protection extérieure ….Des petites crottes en tombent. Surprise !... Des souris !

 

         La famille Risous et sa progéniture, ont établi leur nid au milieu des rouages. Les morceaux de papiers et de cartons utilisés pour construire le nid, ainsi que la réserve de grains de maïs, nourriture préférée de la famille bloquent le mécanisme, empêchant ainsi le bon fonctionnement de l’appareil. Soulagée d’avoir trouvé de l’aide, la fée ayant retrouvé son calme va se doucher et mettre des vêtements propres.

 

         Avec une grande attention Lilong écoute les explications des souris sur leur présence en ces lieux. Elles habitaient dans la forêt des Grandes Aiguilles, une immense sapinière occupée par des conifères centenaires, une certaine plénitude et respect régnaient au sein de la communauté. Les sangliers, les écureuils, les pics épeiches et les souris peuplaient cet endroit idyllique. Malgré les différences ils vivaient dans la complicité et l’harmonie, jusqu’au jour où… !

 

         La douce quiétude régnant sur ce bois a été brisée par l’entrée fracassante et bruyante des aliens aux dents de scie. Sur une musique de vrombissements assourdissants, le ballet des barbares coupeurs d’arbres a commencé. Avec arrogance et mépris, ils ont envahi cet espace paisible ; fendant l’air de façon chaotique, coupant les branches dans un tourbillon de mouvements saccadés, les mécaniques rugissantes se sont acharnées avec frénésie sur les troncs qui résistaient ; aucun répit tant que tous les arbres n’étaient pas à terre. Le carnage terminé, les faiseuses de sciure sont parties, laissant derrière elles un endroit totalement ravagé. La forêt des Grandes Aiguilles n’était plus que désolation avec ses arbres morts et sa forte odeur de cambouis brûlé.

 

Ne comprenant pas ce qui se passait et ayant peur, les animaux se sont enfuis loin de cette épouvantable fin du monde. Ils se sont tous mis à la recherche d’un autre logement sécurisé et agréable. La famille Risous fatiguée du déménagement catastrophe, a trouvé la cuisine de la fée Mousse au Chocolat, à bout de force elle s’est installé dans le premier endroit qui lui semblait sécurisant pour les bébés souris.

 

         Sérieux problèmes en perspective : d’abord trouver de quoi reloger décemment toute la smala Risous, réparer le robot, et enfin rattraper le retard dans la confection des mousses au chocolat. Heureusement, l’enchanteur possède le don et la faculté de résoudre chaque contrariété quelle qu’elle soit. Dans sa remorque attachée à la tondeuse à gazon volante silencieuse, une multitude d’objets divers se disputent la place disponible. Lilong trouve de suite ce qui convient pour déplacer la famille Risous : les bottes de sept lieues. La première s’adaptera à la croissance des souriceaux, la deuxième servira de garde-manger. Au milieu des outils de la remorque, deux pinces à épiler, juste ce qu’il faut pour enlever les grains de maïs coincés dans le moteur.

 

         Timidement le soleil envoie ses rayons au travers de la fenêtre de la cuisine ; le temps presse, à genoux devant la machine Lilong et la fée Mousse au Chocolat s’affairent ; le transfert de la tribu Risous et du garde-manger terminé, ils vont déposer les bottes dans le living. Les souris peuvent enfin se reposer et récupérer du grand stress vécu lors de leur départ précipité.

 

         La protection remise, Lilong essaye l’engin. Super, le fouet tourne. Sans beaucoup d’espoir, la fée Mousse au Chocolat se remet au travail, le retard est considérable. Seule, elle n’arrivera pas à terminer tous les desserts pour ce soir. Le remplissage des pots demande du temps, de l’adresse et de la patience. Elle s’active, remet la casserole d’eau à chauffer, met les jaunes d’œufs et le sucre dans le bol, tourne le bouton, c’est parti. Les premiers pots sont déposés au frais dans la chambre froide, ouf ! Affairée, elle ne se rend pas compte que Lilong est sorti.

 

Il se rend dans la forêt des Grandes Aiguilles sur laquelle règne une forte odeur de sciure mélangée à celle de la résine ;   sort de son sac une mini-fusée remplie de cinq grains de riz, cinquante grammes de feuilles de chêne, cent grammes de soufre, trois cuillères à soupe de bonté ; allume la mèche et la lance au milieu de la forêt assassinée. Des notes de musique  et des étincelles de diamants s’en échappent, volettent et s’éparpillent au-dessus des souches sans vie. Les rondins et les branches vibrent, peu à peu chaque élément reprend sa place ; les sapins reconstitués de leur sciure se redressent, la cime en direction du ciel. A nouveau leurs épines resplendissent, les pommes de pins s’ouvrent sous les rayons du soleil ; les animaux retrouvent leur domaine, leurs habitudes et la chaleur amicale de la forêt des Grandes Aiguilles.

 

        La petite fée, a besoin d’aide, aussitôt pensé, aussitôt fait : une équipe d’écureuils est recrutée au sein de la sapinière. De suite les acrobates se mettent au travail, nos petits amis agiles et espiègles s’affairent dans la joie tout en chantant. C’est avec un profond respect de l’esthétique que les mousses sont décorées d’une rosace de crème fraîche, et d’une noisette de leur réserve personnelle.

 

         Avec ravissement, Lilong, la fée et les écureuils contemplent la multitude de pots soigneusement alignés dans la chambre froide. Le matériel est lavé et rangé, la cuisine est nettoyée, tout est en ordre.

 

         Après l’effort, la récompense ; tous réunit dans le living, ils décompressent. Les souriceaux émerveillés de voir autant de monde autour d’eux sortent de la botte des sept lieux, escaladent les fauteuils et jouent avec les queues en panache des écureuils. Les éclats de rire se propagent dans la pièce, les conversations sont joyeuses, le bien-être et la satisfaction du devoir accompli règnent enfin en maître.

 

« Alien » est un terme issu de la langue anglaise signifiant « étranger » au sens large. Le mot a pris aujourd’hui le sens restreint d’extraterrestre.

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